L'Opérette en vacances
Par Didier Roumilhac
Vendredi 17 Novembre 2017
Barie

Pour sa 10e saison l’Opéra de Barie a cette année mis à l’affiche deux ouvrages d’Offenbach : La Rose de Saint-Flour et Coscoletto ou Le lazzarone, créé à Bads Ems en 1865, jamais repris en France dans une version scénique. Cette dernière programmation constitue un événement. Le public ne s’y est pas trompé en venant très nombreux à Barie sur les quatre représentations, faisant mentir l’idée que les spectateurs ne se déplacent que pour les ouvrages qu’ils connaissent.


La Rose de Saint-Flour

La Rose de Saint-Flour (1856) fait partie des premières opérettes d’Offenbach. Le compositeur, autorisé à monter des spectacles musicaux dans ses deux salles des Bouffes (La Rose sera créée dans la salle d’été de Marigny), ne peut aller au-delà de trois puis quatre personnages, obligation qui ne tombera qu’en 1858 pour Mesdames de la Halle. De façon originale le livret de Michel Carré mêle la bouffonnerie au genre champêtre, ici auvergnat, chandelles, bouquet de fleurs et soulier atterrissant dans la soupe aux choux.
Le savetier Charpailloux et le chaudronnier Marcachu se disputent l’amour de Pierrette, la « rose de Saint Flour » ; c’est au premier, le plus « civilisé », que la belle accordera ses faveurs, le second n’ayant pas hésité à tremper une des chaussures offertes par son concurrent dans la marmite, son propre cadeau…


La mise en scène de Cyril Fargues met en évidence ce qu’il y a de physique dans les relations entre les personnages. La violence des sentiments, les bourrades ne laissent pas de doute sur l’enjeu, la main de la belle aubergiste. La direction d’acteurs est rigoureuse. Mais c’est aussi à travers la fantaisie et l’humour que le monde champêtre prend vie. Cette charge des Auvergnats est aussi un regard amusé sur les stéréotypes provinciaux si facilement véhiculés. Carole Defontaine, une nouvelle interprète découverte à Barie, défend avec brio le rôle de Pierrette, au centre des convoitises, de son boléro d’entrée à son implication dans le trio de la bourrée où se chante « nous n’étions ni hommes, ni femmes, nous étions tous Auvergnats ». La voix est particulièrement bien projetée dans un rôle où la comédienne mène le jeu. Damien Féral campe l’amoureux bagarreur de façon pleinement crédible, la voix articulée, élancée, d’une belle couleur assurant au personnage une réelle stature. Non seulement metteur en scène, mais aussi acteur et parfait chanteur, Cyril Fargues joue aussi bien sur la satire d’opéra dans son air d’entrée que sur les mélodies distillées pour se frayer un chemin jusqu’au cœur de la belle. L’accent juste trouvé (auvergnat ?) amène la distance qui donne son universalité au personnage.

Les trois interprètes terminent leur histoire (avec la malicieuse allusion à La Dame Blanche) en justifiant leur participation au Coscoletto qui va suivre… Arnaud Oreb, le pianiste, donne brillamment à l’opérette sa couleur et son rythme.


Coscoletto ou Le Lazzarone

Dans L’Europe Artiste du 30 juillet 1865 Coscoletto ou Le lazzarone, l’opérette bouffe d’Offenbach, livret de Charles Nuitter et Etienne Tréfeu, créée le 11 juillet est ainsi résumée :

La scène se passe à Naples : le décor représente une rue ; à gauche le magasin de la bouquetière Delfina ; à droite celle du marchand de macaroni Frangipani. Il s’agit d’une double intrigue.
Arsenico, l’apothicaire, et Polycarpo, fabricant de cordes à Naples sont amoureux de la même femme, Mariana, la marchande de macaroni ; celle-ci est éprise de Coscoletto qui est amoureux de Delfina la bouquetière. Coscoletto, chargé de remettre à Mariana les lettres de Polycarpo et de chanter des sérénades pour un écu offre le tout à son amoureuse au prétexte de la morale. La mari jaloux qui tremblait d’être occis par les amoureux de sa femme croit un moment les avoir empoisonnés avec un macaroni fantastique. Au moment de mourir chacun avoue son tort, s’embrasse, se pardonne... Par bonheur on reconnaît vite que le macaroni était inoffensif ; le mari n’a fait qu’un mauvais rêve. Mariana lui rend une tendresse dédaignée par le lazzarone et Coscoletto épouse Delfina.

Dans la version de Jean-Louis Guignon (voir l’encadré) Coscoletto est devenu un vrai vaudeville plongé dans l’air napolitain. Voir comment au 2e acte les cachettes se remplissent puis se vident au bénéfice de rencontres intempestives des plus drôles. Le côté échevelé de l’intrigue n’empêche pas les auteurs de se focaliser sur les personnages typiques de la pièce très commedia dell’arte (l’empoisonneur Arsenico, l’énamouré Polycarpe, Frangipani, le mari jaloux), mais aussi sur ses figures plus complexes, le lazzarone, Coscoletto, sa fiancée Delfina (qui passera de la naïveté à la colère) et surtout Mariana au centre de l’action. Le premier duo féminin entre Mariana et Delfina, déjà musicalement dans l’esprit de Charles Lecocq, prépare le duo évoluant vers le trio où Coscoletto est pris entre les deux femmes ; l’objectivité des relations ne manque pas d’être biaisée par la secrète inclination de Mariana pour le lazzarone. C’est un très beau numéro, assez long pour une opérette, aux nombreuses variations mélodiques et rythmiques, où apparaît deux fois une alerte tarentelle.


La bouffonnerie l’emporte quand paraissent les fantoches, mais surtout Frangipani le mari auxquels sont réservés des numéros dignes de Rossini. On citera dans ce registre l’air d’Arsenico ou l’incroyable duo du chien (avec ses aboiements !), les scènes de vengeance de Frangipani, la première en duo avec Delfina. Coscoletto lui-même ne tardera pas à rejoindre cette fougue en entonnant, repris par tous, un hymne au macaroni « meilleur que l’ambroisie ». Les ensembles qui terminent les deux actes ne manquent pas de verve accompagnant pour le premier l’éruption volcanique et pour le second la scène de l’empoisonnement collectif faussement pathétique.

Cyril Fargues, dans une mise en scène très fidèle à l’esprit de l’œuvre, nous plonge dans l’ambiance de cette Italie baroque. Les décors évoquent Naples, sa baie notamment où se produira pour de vrai l’éruption du Vésuve. Il souligne par des effets contrastés la cavalcade des péripéties, les tableaux plus apaisés, mais aussi l’extravagance de la bouffonnerie, comme dans la « stupéfaction » de l’empoisonnement général. La direction d’acteurs va de pair avec les traits musicaux spécifiques de l’ouvrage.

C’est une solide distribution qui défend l’ouvrage avec au premier plan la Mariana de Claire Baudouin qui trouve dans son jeu des intonations propres au théâtre de Goldoni et dans sa voix rayonnante la couleur et les phrasés d’un rôle de quasi opéra. Dans Delfina Magali Klippfel joue la jeune fleuriste amoureuse avec de belles inflexions dans la voix, cette dernière prenant du corps avec l’évolution de l’action. Audrey Hostein est parfait dans un lazzarone plein de vie, scéniquement des plus crédibles ; le timbre, la ductilité et la diction lui permettent de répondre aux exigences du rôle. Le bouffon est incarné avec une réelle maestria par un Jean-Marc Choisy non seulement éloquent et vocaliste, mais sachant aller aussi bien vers ses comparses que son public. On ne présente plus Christian Lara, le ténor aux 500 Don José, dans un rôle qui lui permet d’être un aussi efficace comédien qu’il est brillant chanteur. Quant à Jean-François Dickstein il est un Polycarpe bien en voix et comédien d’autant plus performant qu’il est gagné comme ses camarades par l’effervescence du plateau. Les trois voisins ne sont pas en reste.

La réussite du spectacle tient aussi à la prestation pianistique d’Arnaud Oreb, qui sait équilibrer musique et théâtre dans un rendu exemplaire. N’oublions pas sa prestation lors du récital précédant les opérettes où il accompagne avec brio les répertoires les plus variés. Didier Roumilhac 12 août 2017



La partition et le livret de Coscoletto à Barie

Lorsque Coscoletto ou Le Lazzarone a été créé en 1865 à Bads Ems en français, Offenbach a semble-t-il dirigé avec une partition qui tenait à la fois du chant piano et du conducteur, peut-être sa propre version manuscrite. Le livret de Charles Nuitter et Etienne Tréfeu n’a pas été imprimé, ni conservé. Bien que plusieurs fois annoncé, Coscoletto ne sera curieusement jamais repris en France. Question de style, a-t-on parfois avancé, plus vraisemblablement de timing. On sait que vers la fin du Second Empire Offenbach débordait d’activités et de projets. Si l’ouvrage n’est pas repris en France, c’est bien parce qu’Offenbach ne sait plus où donner de la tête, avec ses derniers grands opéras bouffes ou les partitions qui sont sur le métier comme Fantasio ou Le Roi Carotte, deux ouvrages qui ne sont pas dans leur ambition sans rapport avec Coscoletto (le Vésuve dans Le Roi Carotte).

Pour la reprise de l’ouvrage quelque temps plus tard à Vienne puis à Berlin, un livret en langue allemande a été publié. La partition restait celle d’un copiste reprenant sans doute celle de la création, non imprimée. Il n’en reste pas moins que partition et livret présentent des différences dont on ne sait comment dans les diverses productions elles ont été gérées.

Les représentations données par la suite uniquement outre-Rhin nécessiteront la mise au point de nouvelles éditions : celle de Günther Obst en 1989 (qui servira pour les représentations de Nuremberg en 1991), celle de Julius Hopp qui permettra de réaliser dans le cadre d’une série de concerts le premier enregistrement en langue allemande de l’ouvrage en 2001 à Cologne. D’autres représentations auront lieu en 2012 à Bads Ems. La seule version française due à Jean-Claude Yon pour le livret a été donnée en concert à Montargis par La Compagnie du Grand Seize en 2007.

Le musicologue français Jean-Louis Guignon, qui a établi l’édition de l’Opéra de Barie, a donc dû traduire le livret allemand, l’adapter à la partition disponible et rendre l’ensemble logique pour le public d’aujourd’hui. Outre quelques « chamboulements », il a transposé à la voix de ténor le rôle de Coscoletto écrit pour un travesti selon l’usage du temps.

D.R
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