Très bel article du magazine opérette
Trois pages pour parler de l'Opéra de Barie
Jeudi 27 Novembre 2014

Cet article a été publié dans le magazine opérette de novembre 2014 pages 40, 41 et 42 (disponible en kiosque ou sur le site de l'Anao)

Chaque année. au mois d'août, le petit village de Barie (environ 300 habitants). situé à une soixantaine de km de Bordeaux. propose un festival d'opérettes ou opéras bouffes en 1 acte. Son responsable. Jean-Marc Choisy, fait appel aux compositeurs connus ou inconnus de la seconde moitié du XIXe siècle. Jacques Offenbach et Hervé étant les plus souvent sollicités. Mais au cours des ans. des oeuvres rares de Frédéric Barbier (1829-1900), Lucien Collin. Léo Delibes (1836-1892) et de CharlesLecocq (1832-1918) ont été exhumées.

Cette année, deux ouvrages d'Offenbach et un troisième d'Hervé étaient à l'affiche. Innovation 2014 : pour la première fois, les spectateurs qui le souhaitaient pouvaient dîner sur place pendant le « Bel Canto » donné en prélude aux trois ouvrages programmés.

Offenbach, La leçon de chant électromagnétique

Courte opérette avec seulement une ouverture et quatre numéros. La leçon de chant électromagnétique peut facilement s'insérer dans un spectacle coupé ou être donnée en lever de rideau. A Barie. elle remplit les deux fonctions.
C'est aux Folies-Marigny qu'est créée le 17 juin 1873 l'opérette (après Ems en 1867). Le théâtre venait d'être ouvert sur l'emplacement de la salle Lacaze. où Offenbach avait fait ses débuts. La pièce n'est pas loin de cet esprit des premières bouffonneries musicales du compositeur niais il n'est pas facile d'en percer l'intention.
Toccato, un professeur de chant italien, prend sous sa coupe un berger normand mal dégrossi, Jean Matois : une méthode électromagnétique (en réalité un vague tour de passe-passe) lui permettra de chanter avec éclat « la bigornaise » initiée par leprofesseur. Offenbach s'interroge-t-il (avec son librettiste Ernest Bourget) sur les méthodes de chant qui fleurissent à l'époque aussi nombreuses que parfois bien fantaisistes ? Mais ne pourfend-il pas une nouvelle fois les phrasés exténuants du chant transalpin ? Comme dans plusieurs autres ouvrages. Offenbach pastiche le grand opéra. ses couacs et sa boursouflure sans manquer d'opposer à l'art légitime et bien pompeux l'agrément d'une alerte tarentelle. L'opérette ne prend vie qu'avec un numéro d'acteurs-chanteurs et c'est bien dans cet esprit que la monte habilement Cyril Fargues. Il peut faire confiance à Michel Ballan et Audrey Hostein parfaitement complices dans l'aventure notamment dans la leçon de chant plat de résistance de l'ouvrage. Michel Ballan nous la joue grand opéra (avec une fort belle voix. car il faut être à la hauteur de ce qu'on pastiche) et Audrey Hostein s'avère excellent comédien dans sa mue phonatoire avant de se métamorphoser en brillant chanteur : le texte, d'abord un brin « n'importe quoi » culmine dans une dernière envolée sur les profits matériels qu'on peut retirer d'une belle voix. Le piano d'Arnaud Oreb accompagne cette histoire avec beaucoup d'alacrité et participe au succès de l'opérette. La leçon de chant électromagnétique Miche! Ballan (Toccato). Audrey Hostein (Jean Matois): piano : Arnaud Oreb : mise en scène : Cyril Fargues : costumes : Anne Vergeron : chef de chant : Micheline Carrère :décors, direction artistique : Jean-Marc Choisy. (4 représentations)

Offenbach - Jeanne qui pleure et Jean qui rit

C'est à Ems. où Offenbach passe une partie de ses étés et où il fait représenter certaines de ses partitions. qu'est créée en 1864 l'opérette Jeanne qui pleure et Jean qui rit. Le livret est d'Etienne Tréfeu et Charles Nuitter. Dans une lettre à Villemessant, le directeur du Figaro. Offenbach évoque. sans aucune modestie, mais avec humour. le succèsremporté.L'ouvrage arrivera aux Bouffes Parisiens le 3 novembre 1865.
Jeanne qui pleure et Jean qui rit se signale par son style champêtre. On peut constater que l'ouvrage appartient à une forme d'opérette en un acte à laquelle Offenbach ne s'est pas consacré qu'à ses débuts.Jean-Claude Yon est sans doute sévère en parlant de « cette médiocre intrigue patoisante ». On émettra plutôt l'idée que la réception des oeuvres a bien changé depuis le Second Empire et que le public d'alors goûtait ces univers à la fois idylliques et rustiques. D'autant plus que l'opérette fonctionne efficacement à la fois sur le dédoublement et le déguisement. noyau dur des dramaturgies chez Offenbach. L'enjeu de l'histoire est la vente aux enchères d'un moulin : celui qui l'achètera épousera du même coup Jeanne. la meunière. Cette dernière aime Savinien dont elle est aimée. L'acquéreur. Cabochon. veut profiter de l'achat pour marier son fils. qui aime ailleurs à la future propriétaire. Jeanne sera tour à tour celle qui pleure et sous le costume de Jean (le
prétendu frère de Jeanne) celle qui rit. les deux déguisements servant à dissuader par des moyens bien différents mais appropriés à la situation. les clients potentiels du moulin à se porter acquéreurs. Cabochon de son côté, en se déguisant en meunière peu affriolante essaiera vainement de décourager Savinien.« Jeanne qui pleure et Jean qui rit » : Claire Beaudouin et Audrey Hostein l'amoureux de Jeanne. d'acheter le bien. Les deux amoureux finiront par neutraliser père et fils. Le moulin reviendra à Savinien qui épousera Jeanne.
Pour un ouvrage en un acte_ l'intrigue est particulièrement intensive et l'action riche en rebondissements ne faiblit pas une seconde. Les numéros de la partition (dix tout de même) s'organisent en fonction de l'intrigue de façon à présenter les personnages sous plusieurs angles. Les formes musicales s'adaptent aussi bien aux épanchements lyriques qu'au double jeu des personnages omniprésent. et au burlesque des situations.
La mise en scène de Cyril Fargues a le souci de faire exister les rôles, sans négliger le tempo des événements. La direction d'acteurs permet de tirer des effets comiques qui font mouche et d'obtenir de très bons moments de théâtre chanté, notamment dans les trios (dans le premier où père et fils médusés affrontent cet électron libre de Jean. dans le second scène de bastonnade haute en couleur, où Jeanne simule une double présence avec son frère). Les airs. fondés sur le comique de caractère. joliment harmonisés. « marchent » également très bien : celui où Nicolas s'enflamme pour Tapote. la fiancée énergique que son père lui refuse, celui où Cabochon se déguise en meunière ridicule. De façon très subtile, c'est aussi l'extérieur (où se concrétisent les métamorphoses. où à la fin les périls s'accumulent...) qui est rendu perceptible dans ce moulin dévasté, un rien inquiétant. Le « coeur » du moulin (matérialisé dans le décor). le vent étaient déjà suggérés par la musique de la très belle ouverture de l'ouvrage. La distribution s'inscrit avec bonheur dans la mise en scène. Le rôle de Jeanne/ Jean fut créé aux Bouffes Parisiens par Zulma Bouffar. une des interprètes préférées d'Offenbach. Claire Beaudouin joue avec autant d'aisance les scènes de fille que de garçon : la maîtrise de la ligne vocale lui permet de caractériser les deux côtés du personnage avec des couleurs contrastées et la projection adaptée au style d'Offenbach. Cyril Fargues est un Nicolas très amusant. finement extraverti la voix à l'émission claire ne manque pas de charme. Jean-Marc Choisy joue le paysan madré avec un réalisme débordant. Le Savinien d'Audrey Hostein est lyrique à souhait, mais non dépourvu de vigueur vocale quand il le faut. L'accompagnement au piano d'Arnaud Oreb est déterminant pour valoriser le chant et une partition. qui n'est pas une simple bluette mais un véritable ouvrage lyrique. qu'on saura gré à l'Opéra de Barie d'avoir exhumé avec les honneurs.

Didier Roumilhac 14 août 2014

Jeanne qui pleure et Jean qui rit : Claire Beaudouin (Jeanne/ Jean). Audrey Hostein (Savinien). Jean-Marc Choisy (Cabochon), Cyril Fargues (Nicolas) : piano : Arnaud Oreb mise en scène : Cyril Fargues, costumes : Anne Vergeron : chef de chant : Micheline Carrère, décors, direction artistique : Jean-Marc Choisy. (4
représentations)


Hervé L'Alchimiste

Hervé retrouve de plus en plus à travers notre Hexagone la renommée que le temps lui avait injustement dérobée. Sa renaissance se caractérise par le retour d'ouvrages inédits ou totalement oubliés. Ainsi, cette année. Jean-Marc Choisy. Président de l'Opéra de Barie, a décidé avec sa Compagnie lyrique, de programmer L'Alchimiste. Cet Alchimiste, sous-titré sur la partition. de la main même de Hervé. auteur de la musique et du livret : « Opéra-chimique et chimérique ». donne le ton de la gravité profonde de son intrigue : Phosphorus, alchimiste original use son savoir son temps et « son génie inventif » à la réalisation d'un automate baptisé Harmonius auquel il veut donner vie afin que celui-ci puisse épouser sa fille Glycida. Mais la belle ne l'entend pas ainsi : son coeur est devenu incandescent grâce au charme irrésistible et brûlant d'Euphone, prétendant dont ne veut nullement entendre parler Phosphorus. Une course urgente appelle l'alchimiste chez l'épicier et c'est à ce moment que pénètre par la fenêtre du laboratoire, via le jardin dont il a enjambé le mur l'amoureux éperdu venu d'Harmonius faire sa demande en mariage... La découverte émergeant d'une couverture lui provoque quelque surprise que la douce apparition de Glycida dissipe aussitôt. Mais les mots tendres qu'elle lui adresse ne sont que pour le prier de fuir : si son père les trouve ensemble c'est le drame... Il est inévitable. car on entend revenir soudain cet homme barbare et possessif.... ! Il faut se cacher illico Et Euphone de prendre la place d'Harmonius... C'est justement le moment choisi par l'Alchimiste pour donner vie à son automate. à grand renfort d'incantations et de l'indispensable « calorique » venue du poêle. Bien vite, suffoquant par la chaleur. Euphone, en nage n'y tenant plus. remue et parle... Phosphorus exulte alors et donne de bon coeur la main de sa fille à son Hamonius qui soudain se démasque... Le ton change aussitôt. Mais
Euphone est un amoureux subtil : il saura par une menace de chantage. obtenir l'accord patente! et épouser sa jolie Glycida.

Tel est l'imbroglio de cet acte fort drôle qu'a mis habilement en scène Cyril Fargues. Respectant livret et partition, cet Alchimiste fut allègrement mené, finement joué et bien chanté, critères systématiquement garantis par la Compagnie lyrique de l'Opéra de Barie. Les sept numéros (une romance. deux airs deux duos, un trio et un finale) qui s'articulent néanmoins autour d'une si mince intrigue témoignent de la connaissance théâtrale de Hervé - chaque air ou duo relançant l'action - et de la prodigalité musicale du compositeur. Sa « patte » caractéristique surgit en maints endroits et les artistes de l'Opéra de Barie ont parfaitement su l'exploiter.
Il faut. il est vrai. déployer un talent bien trempé pour interpréter avec humour vocaliser avec esprit ces « un acte » de Hervé dans lesquels toute l'action bouffonne repose sur trois personnages. Le tour de force a. cette année encore. été emporté avec succès si l'on en juge par l'enthousiasme du public de ce 14 août 2014. qui a apprécié les voix de Magali Klippfel. la délicieuse Glycida : de Christian Lara, l'étrange Phosphorus : et Jean-François Dickstein. l'impayable amoureux Euphone.
Quant à Arnaud Oreb. ses qualités de pianiste ont su restituer avec justesse et éloquence les finesses de la partition et ses tournures très hervéennes.

Un petit acte a regarder de plus près.

Malgré son schéma anodin. ce petit actecontient quelques évocations chères à Hervé comme ses éternels clins d'oeil aux blanchisseuses ou lingères (profession de la mère du compositeur). Ainsi. scène 1. après sa romance. Glycida dans son monologue annonce que « si elle était au Gouvernement, les femmes feraient la guerre et les époux laveraient le linge... ». Lorsque Phosphorus dans le trio. commence les incantations indispensables à donner vie à son mannequin on surprend un : « Alla. la queue du chat... » suivi d'un : « Gond morning. sir ! » que l'on retrouvera de manière beaucoup plus développée, respectivement dans le Boléro de Chilpéric (1868) pour le premier : et dans la « légende de la langouste atmosphérique » de L'Oeil crevé (1867) pour le second. Notons encore l'arrivée d'Euphone par la fenêtre qui n'est pas sans évoquer l'entrée de Babylas dans Monsieur Choufleury ( 1861 ) d'Offenbach, et dont le livret fut écrit par le Duc de Morny. fervent adepte de Hervé dès ses débuts. De plus. comme dans L'Alchimiste. c'est également par la pression du chantage que le-dit Babylas obtiendra de Choufleury. la main de sa fille Ernestine. Enfin, l'autre élément fréquent dans l'oeuvre de Hervé (voire pour sa propre personne d'ailleurs) est l'exploitation du « jeu du double ». de l'autre soi-même. sinon du fantastique. Cette caractéristique que l'on retrouve également dans l'oeuvre de E.T.A. Hoffmann (1776-1822) - d'où la passion du compositeur pour l'oeuvre du poète allemand se révèle clairement ici. mais de manière caricaturale. Cet automate, fiancé idéal fabriqué de toutes pièces par un père qui façonne pour sa fille le mari qu'il souhaite n'est pas sans un certain cousinage (toutes proportions gardées. certes) avec la poupée Olympia. soigneusement peaufinée. avecl'aide de Coppélius. par le physicien Spalanzani. et dont s'éprendra Nathanaél (dans le conte original) . Sans nul doute féru de littérature hoffmannesque. Hersé connaissait ce thème de l'automate tiré du conte L'Homme au sable écrit en 1817 et traduit en français. vers 1830. S'il est repris dans le drame fantastique de Jules Barbier et Michel Carré intitulé Les Contes d'Hoffmann et présenté au Théâtre de l'Odéon. à Paris. en 1851. il ne peut railler l'opéra fantastique d'Offenbach qui. lui. ne sera créé qu'en 1881. soit presque vingt-cinq ans après cet Alchimiste. Dans les deux cas chez le fantastique Hoffmann comme chez l'amuseur Hervé notons que les deux automates ont un père... mais pas de mère ! Evoquons encore cette comédie de Madame de Staël. intitulée Le Mannequin (1811) dont l'héroïne Sophie. pour prouver que son mari n'est pas celui qu'il lui fallait, le laisse s'enticher d'un mannequin peint par un artiste dont elle vraiment éprise... et qui se nomme Hoffmann ! A l'automne 1856 et durant dix-huit mois Hervé s'était masqué sous divers pseudonymes dont celui de Louis Heffer.C'est sous ce nom qu'il présenta au Théâtre des Folies Nouvelles. le 21 novembre 1857 « une farce chimique allemande » en un acte intitulée Phosphoras, destinée à « une soirée à bénéfice » au profit de son inséparable chanteur Joseph Kelm. L'intrigue est exactement celle de L'Alchimiste. Bien que cet acte ne fut pas imprimé. son succès fut tel que Hervé (Louis Heffer) l'emporta en tournée en
province. pour lui faire retrouver par la suite Paris. où Phosphoras devint L'Alchimiste à l'automne 1858 quand il fut repris ou recréé sous ce nom. aux Bouffes Deburau (ex premiersBouffes-Parisiens d'Offenbach situés au Carré Marigny) avec La Belle Espagnole. qui, elle avait vu le jour plusieurs semaines plus tôt A l'exception d'une reprise au Théâtre de Tours. le 24 mai 1860, L'Alchimiste n'avait jamais - croyait-on - retrouvé la scène.Toutefois, de nouvelles recherches m'ont permis. tout récemment. de retrouver une reprise parisienne de L'Alchimiste. le 2 novembre 1863. aux ex Bouffes Deburau, alors devenus Théâtre des Champs-Élysées avec - détail intéressant - Hervé dans le rôle de Phosphorus. G. Rose dans celui d'Euphone et dans celui de Glycida. toute fraîche dans ses dix-huit printemps. Jeanne Hervé. la fille du compositeur... de cet incroyable Hervé. par ailleurs organiste expert...


« Point d'orgue »... de Euphone à Harmonius

Le prénom d'Euphone. aux allures helléniques qu'a imaginé Hervé pour son héros, signifie belle voix... sinon peut-être ici beau parleur... L'idéal pour un prétendant !
Mais. dans le langage des facteurs d'orgues euphorie désigne aussi un type particulier de * jeu d'orgue ». dispositif dont était précisément équipé l'orgue de Saint-Eustacheà Paris. où Hervé fut organiste. Ce procédé de l'euphone était dérivé d'une technique qui consistait à frotter des cylindres de verre dont les sons étaient alors captés par des lamelles métalliques... Ce système voisinait celui du glassharmonica... d'où Harmonius (nom choisi par Hervé, pour baptiser l'automate « prétendant ». On remarque. ici. pour le différencier d'Euphone une consonance latine... mut comme dans le nom de son « père » Phosphorus... parent glasharmonica lointain de quelque Coppélius !). Mais ce pour lequel d'ailleurs Mozart composa, fut interdit en 1835. par des chimistes allemands. affirmant que le plomb qui entrait dans la composition de ce verre par saturnisme pouvait rendre fou auditeurs et interprètes... d'où le sous-titre attribué par Hervé : Farce chimique allemande.
Mais Harmonius renvoie également à harmonium. instrument à vent, qui. à l'instar de l'orgue. fonctionne, résonne et s'exprime musicalement grâce à une soufflerie... Ici. Phosphorus pour donner vie à Harmonius, use de la chaleur. du feu. lui-même activé par un soufflet... et c'est la voix d'Euphone qui tel un orgue - procédé à l'appui - s'exprime et résonne

Dominique Ghesquière - 14 août 2014
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